vendredi 2 septembre 2011

L'Autre au travail / article pour la revue Europe

Une partie de la revue Europe d'août-septembre (n°988-989) est consacrée à André Benedetto : 6 articles, réunis et préfacés par Olivier Neveux, ainsi que 2 textes d'André Benedetto.

J'en ai écrit l'un d'eux : l'Autre au travail. En voici un aperçu :



André Benedetto ne jouait pas, il n’entrait pas dans le personnage, comme s’il s’agissait d’un cul-de-sac ; il restait à l’entrée et montrait, désignait ce qu’il voyait. Pour Médée tourbillon solo, il était vêtu d’une grande robe orange, les yeux et les lèvres maquillés pour leur donner une présence, jusqu’aux derniers rangs du théâtre. Il avait un long bâton de marche, qui lui suffisait pour camper Thésée. Des poignées de cailloux blancs dans les poches, qu’il sortait, quelquefois, pour faire de la musique, donner le rythme, en les agitant dans sa main tandis qu’il fredonnait une chanson. Dans un coin il y avait quelques objets, éléments de décor. Et un pupitre avec un verre d’eau.
Chacune des Médée, appelée à comparaître, était désignée d’un geste ou d’une posture. Chacune était campée, comme un croquis, en quelques gestes. Lui, l’acteur, debout et face à nous, désignant, esquissant chacun des personnages, nous adressait paroles et dialogues.
L’adresse au public était, pour lui, une chose fondamentale. En 2008 dans un texte intitulé Parler face au public 6, il écrivait : « Pour un acteur, le seul partenaire auquel il doit s’adresser, est en réalité le public en face de lui, plutôt que son partenaire direct qui se trouve à côté de lui sur la scène ! » Le théâtre ne doit pas être « une histoire d’insecte » qui se dit entre soi, mais un acte qui « se fait en public, avec le public, comme s’il se faisait devant le monde entier. Il prend à témoin l’univers qui peut à tout moment intervenir d’une manière ou d’une autre, par tel ou tel personnage, monstre ou voix humaine (ou divine!). […] Si les acteurs se parlent entre eux sur scène, en ignorant le public, on ne se trouve plus au théâtre mais à la radio ou au cinéma. Le spectateur n’est plus qu’un observateur, il n’est plus impliqué dans l’action même du théâtre. Il est là à regarder et à écouter des poissons rouges dans un bocal, des animaux dans une cage, des performeurs dans une bulle, des travailleurs sur un chantier, des autochtones dans leur village, des numéros de cirque sur une piste (où d’ailleurs seuls les clowns introduisaient le théâtre, pendant de brefs instants, du temps — c’était l’âge d’or — où étant l’un à côté de l’autre, ils se parlaient à la cantonade sans se regarder). »
En tant qu’acteur, il avait une grande conscience du rythme et de la gestuelle. Il en avait fait deux éléments structuraux de son art, et son théâtre empruntait beaucoup à la danse ou aux formes de théâtre orientales qui codent la réalité pour la rendre présente à l’esprit des spectatrices et des spectateurs, mais sans jamais la jouer complètement, de peur de la supplanter. L’acteur n’est pas un chien savant ! 


6. Ce texte n’a pas été publié, il a été écrit le 6 novembre 2008.


Revue Europe (le site)